famille : logement familial acquis par une SCI
Les intérêts de l’acquisition d’un bien immobilier par une société civile immobilière (SCI) sont aujourd’hui bien connus : éviter l’indivision, faciliter la transmission du patrimoine ou encore gérer un investissement locatif avec plus de facilité. Reste que le choix de l’acquisition du logement familial par une SCI n’est pas toujours opportun et peut même s’avérer risqué : en témoigne l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 mars 2018.
En l’espèce, une SCI, détenue à 99 % par un époux, également gérant, et à 1 % par son épouse, fait l’acquisition d’un bien immobilier affecté au logement familial. Par la suite, l’épouse cède son unique part à un tiers. Puis, autorisé par l’assemblée générale, l’époux gérant procède à la vente dudit bien sans recueillir le consentement de son épouse qui, au temps du divorce, demande l’annulation de la cession.
En première instance puis en appel, l’épouse est déboutée de sa demande, aux motifs notamment que la protection de l’article 215, alinéa 3, du Code civil ne peut être invoquée lorsque le logement familial appartient à une SCI et qu’aucune disposition statutaire n’attribue à la famille la jouissance des locaux. L’épouse forme alors un pourvoi, fondé sur deux moyens, annexés à l’arrêt, tenant au défaut de conformité de la cession du logement à l’objet social et aux pouvoirs du gérant ainsi qu’à l’irrégularité de ladite cession au regard de l’article 215, alinéa 3, du Code civil. Écartant les « griefs (qui) ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation », la première chambre civile se focalise sur le premier moyen, pris en sa première branche. La question posée est alors la suivante : l’époux associé peut-il procéder à la vente du logement familial acquis par la SCI dont il est le gérant sans le consentement de son conjoint ?
À cette question, la Cour de cassation répond par l’affirmative, rejetant dès lors le pourvoi. C’est l’occasion, pour la Haute juridiction, de préciser le champ d’application de l’article 215, alinéa 3, du Code civil : la protection résultant dudit texte ne s’applique, en cas de détention du logement familial par une SCI, que lorsque l’époux associé est autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ou d’une décision unanime de l’assemblée générale.
Dès lors, il convient de distinguer, d’une part, l’éviction du régime protecteur de l’article 215, alinéa 3, du Code civil en l’absence de précautions préalables (I) et, d’autre part, la préservation dudit régime sous réserve de précautions préalables (II).
1. L’éviction du régime protecteur de l’article 215, alinéa 3, du Code civil en l’absence de précautions préalables
Fondé sur l’indisponibilité relative des droits par lesquels est assuré le logement familial, le régime protecteur de l’article 215, alinéa 3, du Code civil est évincé par l’écran de la personnalité morale de la SCI.
Un régime protecteur fondé sur l’indisponibilité relative des droits par lesquels est assuré le logement familial. – Aux termes de l’article 215, alinéa 3, du Code civil, « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni » ; « celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation (…) ». Inscrit au régime primaire impératif, ce texte tend à écarter les hypothèses risquant de priver la famille de son logement. Précisément, la protection du logement familial résulte de l’interdiction faite à chacun des époux d’effectuer des actes de disposition volontaires sans le consentement de son conjoint et ce, quelle que soit la nature des droits par lesquels est assuré ledit logement.
Pour autant, l’indisponibilité du logement familial ne le rend pas insaisissable. Partant, les créanciers sont libres de poursuivre les voies d’exécution offertes en droit commun pour obtenir la libération des lieux (v. notamment Cass. 1re civ., 7 févr. 2008, n° 17-10.367) ; il s’agit alors d’actes de disposition forcée. L’enjeu est de préserver le crédit des familles. En effet, pour beaucoup d’entre elles, le logement familial constitue l’unique bien pouvant répondre des dettes.
Un régime protecteur évincé par l’écran de la personnalité morale. – Toutefois, en l’espèce, les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, considèrent que l’épouse « ne pouvait revendiquer la protection accordée par l’article 215, alinéa 3, du Code civil, dès lors que l’appartement litigieux n’appartenait pas à son mari mais à la SCI ». Ainsi, lorsque le logement de la famille n’est pas la propriété des époux ou de l’un d’entre eux, mais siège au patrimoine social de la SCI, cette dernière demeure libre de procéder à sa cession lorsqu’aucune mesure de protection n’a été au préalable mise en place.
À noter d’ailleurs que l’écran de la personnalité morale écarte d’autres mécanismes protecteurs du logement de la famille.
D’un point de vue civil, le droit temporaire au logement et le droit viager, prévus aux articles 763 et 764 du Code civil ne s’appliquent pas en cas de détention du logement familial par une SCI. C’est d’ailleurs en ce sens qu’une réponse ministérielle a été rendue le 25 janvier 2005 selon laquelle « dans l'hypothèse où l'habitation familiale a été acquise par le biais d'une société civile immobilière, le logement appartient à la société et non aux époux. Les conditions de propriété prévues par les articles 763 et 764 du Code civil ne sont donc pas remplies. Par conséquent, le droit d'habitation conféré par ces articles ne pourra s'appliquer que si les époux ont pris soin de conclure avec la société un bail ou une convention d'occupation » (Rép. min. à QE n° 39324, JOAN Q, 25 janv. 2005, p. 816).
D’un point de vue fiscal, les conséquences de la détention du logement familial en SCI sont multiples : perte du bénéfice du régime d’exonération de la plus-value en cas de vente (CGI, art. 150 U), perte de l’abattement de 30 % en matière d’impôt sur la fortune immobilière (CGI, art. 973) et perte de l’abattement de 20 % en matière successorale (CGI, art. 764 bis).
Cependant, sous réserve de certaines précautions préalables, le régime protecteur de l’article 215, alinéa 3, du Code civil peut être préservé.
2. La préservation du régime protecteur de l’article 215, alinéa 3, du Code civil sous réserve de précautions préalables
La Cour de cassation met en avant deux précautions préalables nécessaires à la préservation de la protection du logement familial : l’adaptation des statuts, d’une part, et l’octroi d’un titre d’occupation par décision des associés, d’autre part.
L’adaptation des statuts. – En premier lieu, la Cour de cassation souligne que, si l’article 215, alinéa 3, du Code civil soumet à cogestion les actes de disposition portant sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille, « c’est à la condition, lorsque ces droits appartiennent à une société civile immobilière dont l’un des époux au moins est associé, que celui-ci soit autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ».
Ainsi, la SCI garantissant une grande liberté statutaire, il est judicieux de prévoir un droit d’associé sur le logement familial afin d’éviter toute situation de précarité. La première chambre civile de la Haute juridiction a d’ailleurs statué en ce sens par arrêt en date du 11 mars 1986 (Cass. 1re civ., 11 mars 1986, n° 84-12.489, Bull. civ. I, n° 62). En l’espèce, l’annulation de la vente réalisée par la SCI a été obtenue par l’épouse qui avait reçu de son époux associé l’autorisation expresse d’occuper le bien avec ses enfants en vertu d’un droit d’associé lui conférant la jouissance des locaux.
À titre d’exemple, il pourrait être inséré la clause statutaire suivante : « Monsieur…/Madame…, associé de la société…, dispose d’un droit de jouissance sur le bien immobilier détenu par la SCI en vertu duquel tout acte de disposition sur ledit bien est conditionné à son consentement et à celui de son conjoint. L’absence des deux consentements emporte la nullité de l’acte ».
À noter que l’adaptation des règles de majorité au sein des statuts de la SCI peut également apparaître opportune. En l’espèce, les statuts donnaient pouvoir au gérant de vendre les immeubles de la SCI à condition d’y être autorisé par une décision des associés représentant plus de la moitié du capital social (v. les moyens annexés à l’arrêt). L’exigence d’une majorité renforcée (majorité des deux tiers, par exemple) pourrait, en certaines circonstances, changer la donne. Reste qu’en l’espèce, l’époux gérant, détenant 99 % du capital social, aurait tout de même pu vendre le bien selon son unique décision.
L’octroi d’un titre d’occupation par décision des associés. – En second lieu, la Cour de cassation relève que la protection des époux dont l’un au moins est associé peut également être issue « d’une décision prise à l’unanimité (…) dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du Code civil ». Il s’agit notamment d’autoriser l’époux associé à occuper privativement le logement, la SCI lui accordant un droit au bail, un droit d’habitation ou une convention de mise à disposition.
À noter que, si l’article 1853 du Code civil dispose que « les décisions sont prises par les associés réunis en assemblée », l’article 1854 du même code énonce quant à lui que « les décisions peuvent encore résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ». Reste donc à déterminer si l’octroi d’un titre d’occupation par la SCI au profit de l’un de ses associés requiert véritablement une décision à l’unanimité de ceux-ci, ce que retient pour sa part la Cour de cassation.
En tout état de cause, dans la configuration du présent arrêt, lorsque la SCI compte pour seuls associés originaires un époux détenant 99 % des parts et son épouse détenant le surplus, il ne semble pas difficile de prendre ab initio une telle décision à l’unanimité. Encore faut-il anticiper et ne pas se réveiller au temps du divorce …