consommation : formulaire de retractation
Les prêteurs insèrent fréquemment dans les contrats de crédit à la consommation une clause selon laquelle l’emprunteur reconnaît s’être vu remettre un contrat doté d’un bordereau détachable de rétractation. La Cour de cassation considérait depuis une dizaine d’années que cette clause de reconnaissance signée par l’emprunteur pouvait valoir preuve de la remise dudit bordereau. Elle vient d’indiquer, dans un récent revirement d’inspiration européenne, que cette clause ne constitue qu’un indice de cette remise, indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires. Ce revirement conduira sans doute les prêteurs à revenir à la pratique d’un contrat de crédit à la consommation établi en double original identique, contenant chacun un formulaire détachable de rétractation.
Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, no 19-18971
Extrait :
La Cour :
(…)
1. Selon l’arrêt attaqué (Pau, 29 novembre 2018), suivant acte du 5 février 2013, la société Cetelem, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas Personal Finance (la banque), a consenti à M. X (l’emprunteur) un crédit à la consommation.
2. À la suite d’échéances demeurées impayées et du placement sous curatelle de l’emprunteur, prononcé par jugement du 18 février 2015, la banque l’a, par actes des 8 et 9 juin suivants, assigné ainsi que l’UDAF des Hautes-Pyrénées, prise en qualité de curateur (le curateur), en paiement du solde du prêt. L’emprunteur a notamment demandé que la banque soit déchue de son droit aux intérêts, en l’absence de remise du bordereau de rétractation prévu à l’article L. 311-12 du Code de la consommation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Énoncé du moyen
4. L’emprunteur et l’UDAF, ès qualités, font grief à l’arrêt de rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts et de condamner le premier au paiement d’une certaine somme à la banque, alors « qu’il appartient au prêteur de rapporter la preuve qu’il a remis à l’emprunteur le formulaire de rétractation détachable visé par l’article L. 311-12 du Code de la consommation ; que, si l’existence d’une clause au sein de l’offre de prêt aux termes de laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu le formulaire de rétractation peut être considérée comme un indice, il appartient à l’emprunteur d’établir d’autres éléments à l’effet de prouver la remise effective du bordereau de rétractation ; qu’en décidant que le seul fait que l’emprunteur ait reconnu, à travers une clause de l’offre de prêt, la remise du bordereau permettait de présumer la réalité de la remise du bordereau sans constater l’existence d’autres éléments de nature à corroborer la réalité de l’exécution de son obligation par l’emprunteur, la cour d’appel a violé les articles L. 311-12 et L. 311-48 du Code de la consommation, pris en leur rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 311-12 et L. 311-48 du Code de la consommation, dans leurs rédactions antérieures à celles issues de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
5. Il résulte de ces textes que, pour permettre à l’emprunteur d’exercer son droit de rétractation, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit et que le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l’emprunteur un contrat comportant un tel formulaire est déchu du droit aux intérêts en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
6. Ces dispositions sont issues de la transposition par la France de la directive n° 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs et abrogeant la directive n° 87/102/CEE.
7. Par arrêt du 18 décembre 2014 (CA Consumer Finance, C-449/13), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les dispositions de la directive précitée doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive n° 2008/48 (point 32).
8. L’arrêt de la Cour précise qu’une clause type figurant dans un contrat de crédit ne compromet pas l’effectivité des droits reconnus par la directive n° 2008/48 si, en vertu du droit national, elle implique seulement que le consommateur atteste de la remise qui lui a été faite de la fiche d’information européenne normalisée (point 29). Il ajoute qu’une telle clause constitue un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents et que le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu’il n’a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d’informations précontractuelles lui incombant (point 30). Selon le même arrêt, si une telle clause type emportait, en vertu du droit national, la reconnaissance par le consommateur de la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, elle entraînerait un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive n° 2008/48 (point 31).
9. Il s’ensuit qu’il incombe au prêteur de rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations précontractuelles et que, contrairement à ce qu’a précédemment jugé la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n° 12-14122 : Bull. 2013, I, n° 7), la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.
10. Pour rejeter la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par l’emprunteur, l’arrêt énonce que la reconnaissance écrite par celui-ci, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint à cette offre laisse présumer sa remise effective et que l’emprunteur n’apporte pas la preuve de l’absence de remise du bordereau de rétractation par le prêteur ou à défaut de son caractère irrégulier.
11. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Par ces motifs, la Cour :
Casse et annule, mais seulement en ce qu’il condamne M. X à payer à la société BNP Personal Finance la somme de 23 687,71 euros à titre principal avec intérêts au taux contractuel de 6,69 % à compter du 18 février 2015, l’arrêt rendu le 29 novembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ; Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;
(…)
Cass. 1re civ., 21 oct. 2020, no 19-18971
Par contrat de crédit à la consommation conclu en 2013, une société de crédit accorde à un particulier un prêt personnel au taux conventionnel de 6,69 %. Plusieurs mensualités demeurant impayées, l’organisme prêteur met en demeure le particulier de lui rembourser la somme de 23 687 € puis l’assigne devant le tribunal d’instance de Tarbes en paiement de ce solde du prêt en capital et intérêts. En défense, le consommateur sollicite du juge le prononcé de la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts au motif qu’il ne prouve pas la remise d’une offre préalable de crédit dotée d’un bordereau détachable de rétractation. Par jugement du 8 novembre 2016, le tribunal tarbais fait droit à la demande en paiement. Le 29 novembre 2018, la cour d’appel de Pau confirme le jugement et condamne le particulier à payer à la banque la somme de 23 687 €, avec intérêts au taux conventionnel. Tant en première instance qu’en appel, les juges rejettent la demande de déchéance du droit aux intérêts tirée de l’irrégularité de l’offre tenant au défaut de preuve de la présence d’un bordereau de rétractation. Les juges du fond considèrent que la reconnaissance écrite par l’emprunteur, dans le corps de l’offre préalable, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint, laisse présumer sa remise effective, alors que l’emprunteur n’apporte pas la preuve de l’absence de remise du bordereau ou, à défaut, de son caractère irrégulier.
Un pourvoi en cassation est formé sur ce point par l’emprunteur. Dans un arrêt du 21 octobre 20201, la Cour casse l’arrêt de la cour d’appel de Pau au motif que le raisonnement retenu par les juges du fond entre en contradiction avec les articles L. 311-12 et L. 311-48 du Code de la consommation, dans leurs rédactions antérieures à celles issues de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation2.
En droit du crédit à la consommation, c’est bien évidemment au professionnel, à savoir à l’organisme prêteur, d’apporter la preuve de la régularité de l’offre qu’il soumet au juge pour obtenir le paiement du capital et des intérêts. Faute d’apporter cette preuve, il est déchu du droit aux intérêts et n’obtient que le paiement du capital restant dû. C’est donc au prêteur d’apporter la preuve que l’offre contient bien un formulaire détachable de rétractation. La question de la charge de la preuve de la présence de ce bordereau ne semble pas soulever de difficultés.
Se pose toutefois une question pratique : sous quelle forme la preuve de la présence du bordereau peut-elle être apportée ? Tenu de fournir au consommateur ce formulaire, le professionnel du crédit prévoit souvent dans le contrat une clause au titre de laquelle l’emprunteur reconnaît l’avoir reçu. Elle est en général libellée de la façon suivante : « Je reconnais rester en possession d’un exemplaire de cette offre doté d’un formulaire détachable de rétractation ». Des variantes existent quant à la formulation mais cette clause pré-imprimée figurant dans l’offre est en général située immédiatement au-dessus de la signature de l’emprunteur et vise à permettre au prêteur de se dispenser de produire un exemplaire comprenant ledit bordereau ou une copie de l’exemplaire remis à l’emprunteur. Or, comme le notait Sâmi Hazoug, « si l’objet d’une telle stipulation est clair, il n’en est pas de même de son exact effet »3. Quelle est la portée de la clause attestant de la remise du bordereau ? C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans son arrêt du 21 octobre 2020.
Il convient cependant de rappeler que ce contentieux abondant relatif à la preuve de l’existence du bordereau de rétractation dans une offre de crédit à la consommation pourrait être simplifié et apuré si les organismes prêteurs établissaient des exemplaires de contrats de crédit, en tous points identiques pour chacune des parties4, conformément aux prescriptions de l’article 1375 du Code civil (ancien article 1325)5. Nombre de professionnels du crédit s’en dispensent. D’après ce qu’ils avancent, ils établissent le contrat de crédit en exemplaires distincts, l’un comprenant un bordereau qui est remis à l’emprunteur et l’autre qui n’en comprend pas et qu’ils conservent. Ce dernier exemplaire est produit en cas de contentieux et évidemment, il suscite la circonspection, car il ne comporte pas de bordereau. Or le juge, garant de la loi, est tenu de s’assurer de la conformité du contrat aux dispositions du Code de la consommation. En l’absence d’offre contenant un bordereau, son office lui impose de soulever cette irrégularité6 puis de la sanctionner7. L’existence d’une clause de reconnaissance de remise d’une offre dotée d’un bordereau vise à pallier cette absence. Il serait pourtant simple, pour le prêteur, de rassurer le juge en produisant un exemplaire de l’offre identique à celui remis à l’emprunteur. Cela permettrait également au prêteur de prouver la régularité du bordereau8. Certains professionnels du crédit procèdent ainsi et démontrent la régularité de l’offre sur ce point. Pourquoi les autres ne le font-ils pas ? Le mystère reste entier et nourrit un contentieux abondant et répétitif, que l’arrêt du 21 octobre 2020 ne va pas contribuer à tarir.
I – La clause pré-imprimée de reconnaissance devenue un couperet
En France, le droit du crédit à la consommation trouve ses origines dans la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978, dite loi Scrivener I, qui organisait un formalisme impératif des offres préalables de crédit. Le droit du crédit à la consommation prévoyait dès son origine, au bénéfice de l’emprunteur, un droit de rétractation pendant un délai de 7 jours. Afin de permettre l’exercice de ce droit de « repentir » par l’emprunteur, un formulaire détachable devait être joint à son exemplaire du contrat de crédit9. Déjà, dans les années 80 et 90, des organismes prêteurs soutenaient, pour échapper à la sanction de la déchéance du droit aux intérêts, qu’ils n’avaient pas à produire un double original identique de l’offre et qu’une mention de reconnaissance de la remise de l’offre suffisait. Cet argument n’emportait en général pas la conviction des juges d’instance. Les juges d’appel se montraient plus sensibles à l’argument. Ainsi, la cour d’appel de Douai a estimé en 1999, dans une espèce où l’exemplaire produit par le prêteur ne comportait pas de formulaire de rétractation que « la mention pré-imprimée signée par l’emprunteur reconnaissant avoir reçu une offre dotée d’un formulaire détachable de rétractation suffit à établir que cette offre était régulière »10. Le fait que l’exemplaire du prêteur – rédacteur de l’offre – soit dépourvu de bordereau de rétractation laisse pourtant supposer que l’exemplaire de l’emprunteur n’en était pas non plus doté, et semble priver de portée ladite mention pré-imprimée. En outre, le prêteur doit justifier de la régularité du bordereau (en particulier de sa conformité au modèle-type de bordereau et par conséquent de la présence des mentions devant y figurer) et il ne peut le faire qu’en produisant son exemplaire de l’offre, ce qui suppose que ce dernier soit strictement identique à celui du client, raisonnement qui a été repris par la cour d’appel de Bordeaux en 199911. C’est dire si le problème n’a rien de nouveau12.
Le droit du crédit à la consommation a connu une évolution notable à la suite de la transposition en droit interne de la directive n° 2008/48/CE concernant les contrats de crédit aux consommateurs par la loi n° 2010-736 du 1er juillet 2010, portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde. Les articles 10 et 14 de la directive prévoient une faculté de rétractation. Ainsi, il n’y a guère eu d’évolution quant à l’exigence du bordereau13. Seul le délai de rétractation a été allongé à 14 jours14.
Ainsi le contrat doit être muni d’un formulaire détachable et ce dernier est établi conformément au modèle-type annexé à l’article R. 312-9 du Code de la consommation. Si ce bordereau est manquant, l’offre n’est pas conforme aux exigences légales et la déchéance du droit aux intérêts est encourue15. Le contrat lui-même doit mentionner « les conditions d’exercice » du droit de rétractation16, c’est-à-dire rappeler notamment les règles de computation de ce délai, telles qu’elles découlent des articles 641, alinéa 1, et 642, alinéas 1 et 2 du Code de procédure civile17 ; c’est rarement le cas, bien que la CJUE insiste sur « l’importance fondamentale du droit de rétractation » et la nécessité d’en mentionner de façon claire et concise les éléments, au premier rang desquels figure la période précise durant laquelle ce droit peut être exercé18.
Mais la loi Lagarden’a pas pour autant réglé la question de la preuve de la présence du formulaire détachable dans l’offre, question laissée à l’appréciation des tribunaux. La Cour de cassation a semblé accorder une portée probatoire importante à la clause quant à la preuve de l’existence du bordereau, mais relative quant à celle de la régularité du bordereau19. Cependant, elle a finalement retenu une approche favorable au prêteur. Dans un premier temps, tout en laissant au juge du fond une certaine marge d’appréciation, elle a validé un arrêt d’appel ayant exigé de l’emprunteur qu’il justifie du caractère erroné ou mensonger de la reconnaissance écrite et déduisant de la défaillance de l’emprunteur dans l’administration de cette preuve que l’offre était régulière sur ce point20. Dans un second temps, elle a estimé que la reconnaissance écrite, par l’emprunteur, dans le corps de l’offre, de la remise d’un bordereau de rétractation détachable joint laissait présumer la remise effective de celui-ci, mais aussi la conformité de ce dernier aux exigences légales et réglementaires21. Plusieurs juridictions du fond se sont prononcées de la même manière22, même si une importante part des tribunaux d’instance a jugé dans le sens inverse. Selon eux, le prêteur doit pouvoir justifier de l’existence de ce formulaire et de sa conformité aux prescriptions réglementaires, et à défaut s’expose à la déchéance du droit aux intérêts23.
Il y avait, en effet, des motifs de résistance à la position de la Cour de cassation24. Premièrement, le raisonnement de la Cour revenait à déduire d’un élément de fait – la remise du bordereau – un élément de droit – la régularité du bordereau25. Deuxièmement, la solution consacrait un double renversement de la charge de la preuve : en retenant une présomption de présence du bordereau de rétractation et une présomption de régularité du bordereau, elle faisait peser sur l’emprunteur une charge de la preuve incombant normalement, dans un contentieux de consommation, au professionnel26. Troisièmement, elle attribuait cette présomption à une clause à la légalité douteuse, qui visait, dans un contrat d’adhésion, à dispenser le professionnel de ses obligations. Quatrièmement, cette solution paraissait aller à l’encontre de la jurisprudence traditionnelle voulant que c’est à celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information qu’il revient de prouver l’exécution de cette obligation27. Cinquièmement, elle aboutissait à faire de cette mention pré-imprimée une clause-couperet, liant le juge et étouffant tout débat sur l’existence du bordereau dans l’offre et sa régularité. Ces inconvénients rendaient la solution peu satisfaisante.
II – La clause pré-imprimée de reconnaissance redevenue un indice
Avec l’arrêt du 21 octobre 2020, le débat sur la présence du bordereau dans le contrat redevient possible devant le juge. Selon la première chambre civile, « la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires »28. La cassation intervient parce que la cour d’appel de Pau a déduit de cette clause signée la présence du bordereau. Or cette clause ne constitue qu’un indice et non une preuve absolue. En résumé, cette clause ne lie pas le juge et ne lui permet pas de déduire la présence du bordereau. La Cour de cassation cite abondamment l’arrêt Consumer Financerendu en 201429 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à propos de la clause pré-imprimée de remise de la fiche d’informations précontractuelle pour expliquer son changement de position.
Selon la CJUE, les dispositions de la directive n° 2008/48 s’opposent au fait que, en raison d’une clause-type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations, ce qui est de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive30. En 2014, le juge européen a énoncé qu’une telle clause constitue un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents et que le consommateur doit toujours être en mesure de faire valoir qu’il n’a pas été destinataire du document ou que celui-ci ne permettait pas au prêteur de satisfaire aux obligations d’informations qui lui incombent31.
Depuis l’arrêt Consumer Finance, nombre de juridictions d’instance ont appliqué cette solution et n’ont pas reconnu à la clause pré-imprimée de valeur probatoire suffisante pour établir la remise d’un document obligatoire. Ils en ont ainsi déduit que, faute d’autres éléments, le prêteur n’apportait pas la preuve de la remise de la fiche d’informations précontractuelles32 et devait être déchu de son droit aux intérêts33.
La Cour de cassation est venue dire à son tour, par une décision du 5 juin 201934, que la signature par l’emprunteur d’une clause-type de reconnaissance de la remise de la fiche d’informations précontractuelles ne permet pas de faire la preuve que la fiche en question lui a été remise et par conséquent de justifier du respect par le prêteur de son obligation d’information. La signature de la clause-type ne constitue, dans tous les cas, qu’un « indice » que le prêteur doit conforter par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents. Cette évolution a logiquement eu des effets concernant le bordereau de rétractation. S’inspirant de la jurisprudence européenne, des juridictions ont estimé que la mention pré-imprimée selon laquelle l’emprunteur reconnaît avoir reçu un exemplaire du contrat doté d’un formulaire détachable de rétractation est insuffisante35. Il en est de même pour la clause-type quant à la remise de notice d’assurance36. Pour autant, cette jurisprudence ne faisait pas encore l’unanimité parmi les cours d’appel. Quelques arrêts continuaient ainsi à estimer que la jurisprudence Consumer Financen’était pas applicable au bordereau de rétractation, mais devait se limiter à la fiche précontractuelle d’informations37. Une clarification était donc nécessaire et l’arrêt du 21 octobre 2020 viendra aider à une uniformisation de la jurisprudence.
S’agit-il pour autant d’une solution favorable aux consommateurs ? Il convient sans doute de répondre par la négative. Il s’agit plutôt d’une solution équilibrée, et ce pour au moins deux raisons. D’une part, l’organisme prêteur peut toujours se prévaloir de la clause pré-imprimée signée par l’emprunteur. La Cour de cassation se contente de dire que cela ne suffit plus pour rapporter la preuve de la présence du bordereau et emporter ainsi la conviction du juge. Il appartient au prêteur de produire d’autres éléments ou indices en ce sens. Il peut notamment produire le bordereau accompagnant les doubles originaux des offres que les juges d’instance ont réclamés en vain pendant des années et que les prêteurs refusent bien souvent de produire. Il peut, à défaut, produire une copie de l’exemplaire remis à l’emprunteur. Il peut, enfin, produire une attestation de son employé ayant remis l’exemplaire à signer.
D’autre part, la Cour de cassation n’a pas écarté toute portée probatoire à la clause pré-imprimée. Or la question de la légalité de cette clause reste entière. Elle a été conçue clairement dans le but d’aménager la preuve dans un sens favorable au professionnel, alors que la loi lui fixe l’obligation de présenter des contrats de crédit conformes à la réglementation38. Elle devrait donc, en toute logique, être considérée comme abusive en ce qu’elle a pour effet d’« imposer au consommateur la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat »39. Pour l’instant, la jurisprudence ne s’est pas engagée sur cette voie.
En définitive, ce revirement de la Cour de cassation est le bienvenu, même s’il est sans doute intervenu trop tardivement. D’une manière générale, la Cour de cassation tarde à donner au droit de la consommation toute sa portée. Sur le fond, elle l’interprète souvent de manière formaliste, sans en tirer l’essence consumériste. Sur le plan procédural, elle peine à consacrer un office du juge dynamique, au service de l’application de la loi et de la protection des consommateurs. Peut-on espérer voir un jour la Cour de cassation non plus suivre la CJUE, mais au contraire procéder à une interprétation dynamique du droit de la consommation susceptible d’inspirer la CJUE ?